Pages en partage, pour nourrir les liens parents enfants, Tom Feierabend, 2019
J’ai eu le plaisir de rencontrer Sophie Marinopoulos quand elle travaillait sur l’axe de la lecture pour son rapport sur l’éveil culturel du jeune enfant. J’ai participé, avec d’autre professionnels de la lecture, à deux réunions de travail visant à faire un état des lieux de ce qui existe actuellement en France dans ce domaine.
Allons au parc, Robert Soulière, Loïc Méhée, éditions les 400 coups, 2025, 14€
Voilà un petit album qui a bien l’intention de nous en mettre plein les mirettes !
Ambiance magie étoilée et pages qui se déploient, c’est coloré et ça pétille.
Enfin, ça démarre plutôt calmement, un père, son enfant, un projet : « Et si on allait au parc ? » Sur fond blanc sobre, mais l’imagination s’invite déjà en volutes roses.
On déplie les pages et on les voit en route, chaussés de bottes de 7 lieues.
Le texte est réduit au strict minimum, un dialogue qui invite au jeu : « Allons au parc ! », « Construisons un château », « Attention ! Pirates à bâbord ! » il n’en faut pas plus pour qu’on plonge dans l’histoire.
L’image alterne entre la réalité, qui montre les protagonistes dans des postures assez typiques du jeu au parc et des pages haut en couleur où leur imagination prend le pas. Il faut lutter contre les pirates ou suivre des fourmis géantes. Comme bien souvent les rêves, ces images là se passent de mots.
C’est plein d’énergie, ça donne envie de sortir prendre l’air et c’est assez sympa de montrer une activité du quotidien avec un regard émerveillé. J’aime bien voir un père qui s’éclate au square avec son gamin, ça change (perso quand mes mômes avaient l’âge c’était plutôt un moment que je subissait donc c’est chouette d’en avoir une autre vision). Et puis il y a un twist à la fin qui ajoute de la saveur à l’ensemble, mais je vous laisse le découvrir vous même.
Loup gris et la petite loupiote, Gilles Bizouerne, Ronan Badel, Didier jeunesse, 2025, 13€50
Ah là là, ce Loup Gris, toujours prêt à dispenser ses conseils à qui veut bien l’écouter. C’est vrai qu’il a l’âme d’un mentor. Il a le charisme, il a la confiance en lui il a… Oui, bon, il a surtout la confiance en lui en fait. Il faut avouer qu’il ne manque pas de malice, mais niveau bon sens, il y a encore du boulot.
Quand il voit une petite louve qui tente, en vain, d’attraper un papillon, il s’improvise enseignant, il va tout bien lui apprendre, comment chasser, tout ça.
Certes, en une dizaine d’album, on ne l’a encore jamais vu se mettre une proie sous la dent (à croire qu’il se nourrit de jus de navet) mais ce n’est pas grave. Il a des idées, il va les partager.
Voilà donc Loup Gris et la petite loupiote en chasse, gare à vous les lapins. Le message ne doit pas être très bien passé car justement un lapin le suis à la trace, visiblement plus amusé qu’inquiet.
La loupiote, quant à elle, est plutôt dégourdie, elle ne restera pas longtemps dans son rôle d’apprentie.
Décidément, la collection Loup gris est une valeur sûre. Elle ne cesse de s’étoffer mais garde au fil des épisodes ses qualités. Comme toujours on avale le texte avec gourmandise, on se régale des images qui ajoutent encore à l’humour de l’ensemble, on se désole du sort de ce pauvre loup autant qu’on s’en amuse. La lecture est rapide, le texte nous y incite, mais il faut en général bien vite la recommencer, les enfants en redemandent. Heureusement que nous, adultes, y trouvons aussi notre compte, on n’est jamais trop grand pour savourer un album du duo Gilles Bizouerne et Ronan Badel.
La graine inconnue, Alain Serge Dzotap, Delphine Renon, éditions des éléphants, 2025, 14€50
L’auteur Alain Serge Dzotap étant féru de littérature enfantine, je me suis demandé à la lecture de La graine inconnue si le prénom du protagoniste, Léo, était une référence directe à cet album.
Car dans l’un comme dans l’autre il est question de patience et de temps nécessaire à l’épanouissement.
Ici c’est donc une graine, qui met longtemps à pousser, mettant ainsi à rude épreuve la patience et la résistance à la frustration du petit léopard.
C’est vrai, quoi, la graine de maman, celle de Chloé la petite sœur de Léo et celle de papa ont poussé, pourquoi pas celle là?
Le petiot s’énerve, c’est légitime, il a même quelques mouvements d’humeur. Puis il reprend patience, et se remet à soigner et arroser sa petite graine.
Ses efforts seront bien sûr récompensés et sa fleur qui poussera fera l’admiration de tous… Même si elle est toujours aussi inconnue au bataillon.
Les illustrations, essentiellement réalisées aux crayons de couleurs, soulignent la tendresse de la relation entre le petit Léo et sa famille.
Petit détail amusant, la famille semble avoir un animal de compagnie tout à fait atypique. Mais allez savoir, c’est peut-être très habituel, pour une famille de léopards, d’avoir un lézard plutôt qu’un chat!
Imagier des formes, Claire Dé, les grandes personnes, 2025
Quand la photographe Claire Dé s’installe avec son appareil photo dans une crèche, ça doit être un événement !
Elle apporte des fonds de couleurs vives pour servir de décors, des formes étranges et surtout énormes, des vêtements unis pour costumer les petits.
Et puis pour obtenir des bouillettes aussi spontanées, des mines réjouies, des mouvements naturels, je suppose qu’elle passe du temps avec les enfants, qu’ils font connaissance, qu’elle les invite à jouer avec tout ce matériel.
J’ai eu l’occasion d’assister à un atelier qu’elle animait dans une bibliothèque à l’occasion de son exposition autour du livre A toi de jouer, c’était extra de voir comment elle faisait participer les bambins à la création artistique.
Dans ce nouvel album, on joue donc avec les formes. les géométriques et les autres, plus alambiquées, celles que parfois on a du mal à nommer.
Alors dans cet imagier des formes, on trouve un carré, un rond, un ovale mais aussi un éclair, une cacahuète, un diabolo.
Et des gamins qui interagissent avec ces formes en trois dimensions. Ils se cachent derrière, les empilent, y grimpent.
Si on peut supposer que, classiquement, la forme même de l’imagier se prête à l’acquisition de vocabulaire et que c’est un genre plutôt statique, ici il est plutôt une ode au mouvement. Les enfants photographiés sont acteurs, ils participent pleinement à la création visuelle. Et ceux à qui on montre l’album ne sont pas en reste!
J’ai vu des enfants qui, stimulés par les photos se mettent à leur tour en scène, livre sur la tête comme un chapeau géant ou au sol comme un paravent, ils s’en font une cabane, un mur, un jouet.
Il faut dire que c’est un bel objet, de taille imposante qui se prête à de nombreux jeux.
Une belle invitation au jeu, dont les enfants sauront se saisir joyeusement.
Tu as le droit, Georgette, Didier jeunesse, 2025, 11€90
L’autrice Georgette m’a un jour confié que le point de départ de son album sur les familles était une discussion avec une de ses amies qui déplorait qu’elle et son compagnon ne soient pas considéré comme une famille, au prétexte qu’ils n’avaient pas d’enfant.
Elle a alors souhaité mettre en valeur différents schémas familiaux, puis a naturellement poursuivi sa réflexion dans l’album suivant qui explore les multiples façons de s’aimer. Ces deux albums contribuent à déconstruire des visions restrictives et stéréotypées.
La vieillesse est également souvent représentée de façon plutôt caricaturale, ce qui a donné lieu à l’album sur les grands-parents.
Avec ce nouvel album, elle aborde les droits de l’enfant en direction des plus jeunes. On sent un désir de simplifier suffisamment pour que les enfants comprennent, tout en gardant les notions essentielles: le droit à l’identité et à l’égalité, à l’éducation et aux loisirs.
Le droit d’être protégé des violences aussi.
C’est direct et clair, à l’image des illustrations qui font sa marque: Les enfants représentés ont tous une bouille ronde façon gommette et souvent un air malicieux.
Georgette ne s’adresse pas à eux comme à des êtres en devenir mais comme aux petites personnes qu’ils sont déjà.
Car on n’est jamais trop petit pour bénéficier d’une littérature émancipatrice!
Je prétends toujours que je n’aime pas les livres « gadgets ». Que je regrette qu’il en existe autant parce que pour certains parents, ils semblent toujours plus attractifs pour les enfants qu’un livre « normal », un livre simplement bon. Les enfants n’ont pourtant pas besoin d’un truc sorte de l’image, que ça fasse du bruit, que ça brille pour s’intéresser à un livre.
Et en même temps, j’ai un faible pour les beaux livres pop-up. Contradiction? Non, je ne crois pas, en réalité certains ouvrages pop-up ne sont pas du tout de simple gadgets racoleurs, il s’agit de véritable œuvres d’artistes, belles, et qui ont du sens. C’est le cas de Carnaval animal.
Ici les animaux se mélangent. La tête de l’ours sur le corps du renard, avec des pattes de coq. C’est le principe connu du méli-mélo (également appelé pêle-mêle), qui fait toujours la joie des bambins.
Il y a les plus petits qui tiennent à recréer l’animal de départ, et les un peu plus grands qui s’amusent au contraire à inventer des bêtes improbables. Le relief, les formes précises, le choix inédit des animaux, apportent une joie supplémentaire.
Avec des bébés, la rencontre est magique, ils ouvrent de grands yeux étonnés, battent des bras en direction du livre. Et puis, il faut bien dire, ce qu’il y a de chouette avec les bébés, c’est qu’ils ne peuvent pas abimer le livre, tant qu’ils sont trop petits pour aller eux même le chercher sur son étagère.
Dans ma pratique professionnelle, je ne le destine pas spécialement aux plus de 3 ans. Outre la magie des images les très jeunes enfants sont aussi sensible à la musique du texte, avec quelques mots qui font particulièrement mouche. Carapace, écrevisse, pelage, queue en éventail, peau rugueuse, que de jolis mots, à découvrir comme autant de petits joyaux dans le texte.
Les beaux jours arrivent, avec eux vont reprendre les lectures en extérieurs, je vais amener Carnaval animal pour mes séances de lectures à la Ludoscope, je sais déjà qu’il sera très apprécié par les jeunes lecteurs que j’y rencontre.
C’est mon lit! Sylvain Bouton, Les 400 coups, 2025, 12€50
Quand il rentre de promenade en famille, petit ours est consterné de trouver son lit occupé.
La petite frimousse aux cheveux bouclés et blonds est rapidement identifiée par le lecteur averti, d’autant que le petit ours, s’il est montré seul sur l’image, a mentionné qu’il était en promenade avec son papa ours et sa maman ours.
L’ouvrage repose donc sur son intertextualité, c’est-à-dire qu’il fait une référence, ici très claire, à une autre histoire bien connue des lecteurs.
Ce qu’il y a de chouette avec Boucle d’or, c’est que c’est un conte tellement raconté, modifié, parodié, qu’il fait partie du patrimoine culturel commun dans énormément de familles, même auprès des enfants jeunes.
Je pense que plein d’enfants connaissent vaguement le personnage de boucle d’or et savent qu’elle est généralement associée à une famille d’ours même sans en connaître l’histoire.
À partir de là, il y a déjà une complicité qui s’instaure entre l’auteur et le petit lecteur, ils partagent une connaissance, un secret presque, puisque le protagoniste de l’album, lui, ne semble pas connaître le conte et ne sait donc pas à qui il a affaire.
Mais la grande réussite de Sylvain Bouton est de faire une histoire qui tient la route aussi si la référence n’est pas connue.
L’histoire fonctionne avec les deux niveaux de lecture, la chute aussi.
Et comme la narration est relativement simple, on peut, au fil des lectures, se concentrer sur les images (à cet exercice là les enfants sont très forts, comme ils ne regardent presque pas le texte écrit ils lisent l’image avec précision).
Rien ne leur échappera des aventures de la familles araignée ou du goûter des souris.
Entre les différents niveaux de lecture, les références, les trucs marrants dans l’illustration qui s’adressent en priorité aux plus jeunes, c’est vraiment le genre de livre qui peut convenir à un large éventail d’âge, à garder précieusement quand l’enfant grandit (un bon livre, c’est comme du bon vin, ça doit supporter de vieillir)
L’ombre qui faisait des tatastrophes, Alain-Serge Dzotap, Maria Gabriella Gaspari, Sarbacane, 202514€50
Bodobé se fait tout le temps gronder.
Ses parents n’apprécient pas de le voir manger ses crottes de nez, faire du thé de mouches qui puent ou casser les pots de fleurs avec son ballon.
Pourtant, Bodobé est tout à fait innocent, c’est pas du tout lui qui fait toutes ces choses, lui, il est sage comme une image.
Le problème, c’est son ombre, Karamoka qui, tel un double maléfique, enchaîne les bêtises.
Mais maman et papa ne veulent pas croire leur fiston.
Karamoka existe-t-il vraiment? Tout porte à le croire, puisqu’on peut voir Bodobé tenter de le combattre pour s’en débarrasser.
Il existe donc aussi sûrement que les pulsions qui poussent les enfants à faire des bêtises bien malgré eux.
Au fond, Bodobé, il est un peu comme Georges, il a vraiment envie d’être sage et félicité par ses parents. On ne sait pas si c’est vraiment lui qui agit ni si Karamoka est un simple ami imaginaire, bouc émissaire utile. Mais on ne peut pas douter de sa bonne volonté.
Il y a quelque chose de réjouissant dans les facéties que se permet Karamoka, et les enfants se régalent d’autant plus qu’ils ne s’autorisent pas, eux, à faire de même.
À titre personnel, j’aime assez les livres qui montrent le mauvais exemple, et je suis convaincue que les enfants ne sont pas aussi influençables qu’on veut le croire et qu’ils savent très tôt que certaines choses, possibles dans les histoires, ne sont pas tolérées dans la réalité.
Ici de toutes façons, Bodobé va finalement devoir reléguer Karamoka au second plan, parce qu’il y a des avantages à être toujours responsable de ses actes! Les adultes amateurs de morale y trouveront donc leur compte, tout autant que les enfants amateurs de… tatastrophes.
Avec les éléphants, Franck Bordas, les grandes personnes, 2024, 24€50
Je n’avais pas réalisé, avant de l’avoir en main, à quel point cet album est grand ! 30 cm sur 40, avec d’épaisses pages cartonnées, c’est un bel objet. On peut l’installer ouvert debout sur le sol, il attirera immanquablement le regard. Posé à plat, ouvert sur une table, il fera également le job.
Sur la couverture comme à l’intérieur, de grandes photos en pleine page se déploient sans aucun texte ni cadre, on plonge au plus près des éléphants, avec le sentiment de se promener à pied parmi eux.
Qu’ils soient couverts de boue ou poussiéreux, ils sont majestueux et touchants.
C’est vraiment le genre de livre avec lesquels j’ai plaisir à travailler parce qu’il va attirer l’attention des enfants de tout âge comme des adultes qui les accompagnent.
Ce format est très immersif, on quitte la crèche ou la salle d’attente où on est pour se retrouver loin, dans la savane ou le désert, on perd de vue les autres enfants, on oublie le brouhaha ambiant, on fait, sans même bouger, une expérience de dépaysement.
On se laisse même aller à des suppositions hasardeuses, celui-ci semble sourire, oh, comme celui-là à l’air bien blottit contre sa maman. Et ces deux-là qui se tournent résolument le dos, dans une symétrie presque parfaite, ils sont fâchés ?
En fin d’album quatre pages documentaires apportent des précisions sur la vie des éléphants. Jusqu’ici, les enfants avec qui j’ai regardé cet album (qui avaient tous moins de 3 ans) ne s’y sont pas intéressés, mais je pense que quand je vais le proposer à des plus grands ils y chercheront certaines informations.
Les plus jeunes, eux, cherchent juste à passer un bon moment avec les éléphants, ils se sentent en bonne compagnie dans les pages de ce livre.
Maman? Maurice Sendak, Arthur Yorkins, Matthew Reinhart, école des loisirs, 2006, 28€50
Aujourd’hui, je suis en route pour aller faire une conférence sur les livres qui « font peur » et leur utilisation (sujet que j’ai abordé ici si vous voulez un aperçu de ce que je vais développer).
Par ailleurs, je prépare en ce moment une intervention autour de Maurice Sendak (infos ici, il reste des places et vous pouvez aussi suivre la matinée en visio, ce sera l’occasion d’entendre aussi Stéphanie Blake et Adrien Albert).
Ce sont deux motivations pour vous parler de ce formidable album pop-up qui joue sur les codes de l’horreur tout en étant adapté aux petites oreilles des bambins.
Sur chaque double page, un marmot en pyjama cherche sa maman. Visiblement il n’a pas peur, il n’hésite pas à ouvrir toutes les portes qui se présentent à lui et n’est nullement impressionné par les étranges créatures qu’il découvre alors.
Vampires, momies, chauves souris et autres monstres surgissent des pages, et le bébé n’hésite pas à interagir avec chacun d’eux.
Il donne sa tétine à l’un, déroule malicieusement les bandelettes de l’autre, bref, il semble parfaitement dans son élément. Ce que confirmera la chute finale, qui repose plus sur l’humour et la surprise que sur la réassurance du jeune lecteur.
Je reconnais que celui-ci je l’utilise assez peu avec les moins de 3 ans, ne serait-ce qu’en raison de sa fragilité.
Mais avec les enfants d’âge maternelle, il a un succès fou!
La manipulation d’un pop-up est toujours une joie pour les enfants, surtout ceux qui sont aussi précis dans la découpe et exubérants dans les images que celui-là.
Ils sont excités à l’idée de ce qui se cache derrière chaque page et se pressent d’ouvrir chaque rabat. Il faut les voir hésiter à toucher du doigt les monstres, se lacer des défis mutuellement. Ils en oublient le bébé du livre, ils sont eux même le protagoniste, heureux de se sentir en sécurité tout en visitant cette étrange maison.
Ne comptez pas trop sur ce livre pour le fameux « retour au calme », mais pour bien se marrer avec un petit groupe d’enfants de maternelle, il est idéal.
Succès garanti en bibliothèque de rue par exemple (d’ailleurs, c’est un des albums accroche pour les ados que je préfère.)